Biologie Chantal Abergel, les virus dans la peau Chantal Abergel Ses travaux pionniers ont permis la découverte de plusieurs virus géants. Portrait de cette virologue qui, après la médaille d'argent du CNRS, vient de décrocher le prix Coups d’élan pour la recherche française. Pour attraper le virus de la virologie, rien de mieux que de gagner Marseille et de pousser les portes du laboratoire Information génomique et structurale (IGS)1, à deux pas des calanques. Solaire, tonique, persuasive, celle qui copilote depuis 2010 ce haut lieu de la recherche sur les virus géants avec son mari, le bio-informaticien Jean-Michel Claverie, a le don de vous inoculer sa passion pour ces créatures qui révolutionnent la biologie et secouent le cocotier de l’évolution. « Je ne renonce jamais », lance Chantal Abergel, après vous avoir expliqué que « la ténacité » (teintée d’un brin de susceptibilité) est son principal trait de caractère, et que l’année 2014 l’a « archi-comblée » en lui offrant la médaille d’argent du CNRS ainsi que le prix Coups d’élan pour la recherche française décerné par la Fondation Bettencourt Schueller. S’ils pouvaient parler, les virus XXL piégés dans l’azote liquide, au rez-de-chaussée du laboratoire, vous diraient que, pour cette chercheuse fille d’un père marocain kinésithérapeute et d’une mère au foyer originaire du centre de la France, l’aventure des virus géants a commencé en 2003 avec la découverte d’Acanthamoeba polyphaga mimivirus2. « Notre équipe a contribué identifier comme étant un virus ce micro-organisme qui avait été isolé en 1992 au sein d’une amibe trouvée dans une tour de climatisation d’un hôpital de Bradford, en Angleterre, et que l’on avait pris pour une bactérie avant de l’oublier au fond d’un congélateur », explique-t-elle. Une découverte géante Non content d’afficher un diamètre incroyable pour un virus (0,75 millième de millimètre, ce qui le rend visible au microscope optique), ce monstre 350 fois plus gros que son collègue de la grippe possède un génome composé de plus d’un millier de gènes, alors qu’un virus standard en contient tout au plus quelques dizaines. Encore plus étrange, quatre de ses gènes codent pour des enzymes absentes de tous les autres virus connus, mais présentes chez les bactéries, les archées et les eucaryotes (animaux, plantes, champignons), autrement dit chez tous les organismes vivants ! « C’est un peu comme si nous avions découvert une puce de la taille d’un bœuf », résume Chantal Abergel. Surtout, Mimivirus remet en question la définition même des virus, jusqu’alors exclus du monde vivant et relégués au rang d’« objets » parasites. Plus question, désormais, de décrire un virus comme un minuscule cambrioleur capable de s’introduire furtivement dans une cellule, de prendre le contrôle de son noyau et de forcer son « otage » à lui fabriquer des centaines ou des milliers de descendants, le tout grâce à un tout petit nombre de gènes. Résultat de ce coup de (et du) tonnerre : l’ex-élève qui « n’aimait pas l’école », mais qui « s’est régalée dès le premier cours à la fac d’Aix-Marseille » où elle a soutenu un doctorat sur la cristallisation des protéines en 1990, décide d’« investir totalement le champ des virus géants », comme le reste du laboratoire. Une stratégie payante puisque Chantal Abergel, après une mission la station biologique marine de Las Cruces, sur la côte Pacifique du Chili, accroche en 2011 un nouveau trophée au tableau de chasse de l’équipe marseillaise : Megavirus chilensis. « Ce virus encore plus gros et plus complexe que Mimivirus a une allure très militaire avec ses “cheveux” courts (les glycoprotéines qui recouvrent les virus et les font ressembler à des bactéries pour leurrer les amibes et se faire “manger” par elles), alors que son lointain cousin Mimivirus fait très hippie avec ses longs cheveux sucrés !, plaisante-t-elle. Plus sérieusement, Megavirus chilensis, dont le contenu en gènes dépasse celui de plus de 150 bactéries, nous a fourni la preuve que Mimivirus n’était pas un phénomène de foire, un cas unique. Et il nous a convaincus que les virus géants devaient être très abondants sur Terre. » L’histoire n’a pas tardé à le montrer. Pandoravirus salinus, Pandoravirus dulcis et Pithovirus sibericum sont venus tour à tour agrandir la famille des virus géants, lesquels ne présentent, a priori, aucun danger pour l’homme. « Les Pandoravirus doivent leur nom au fait que l’équipe qui a travaillé sur ces virus est majoritairement féminine. D’après la mythologie grecque, Pandora est la première femme, dit Chantal Abergel. Nous les avons aussi baptisés de la sorte à cause de leur forme en amphore (la boîte de Pandore est une jarre dans les mythes grecs), et parce que l’étude de ces virus, dont 93 % des gènes ne ressemblent à rien de connu ni chez les autres virus ni dans le monde cellulaire, nous projette vers l’inconnu. » Le début d’une longue histoire ? « Esthétiquement magnifiques », les virus géants, selon l’hypothèse « provocatrice » échafaudée par l’IGS, seraient les lointains descendants d’entités biologiques qui, voilà des millions, voire des milliards d’années, seraient devenues les parasites d’autres organismes plus performants qu’elles (les futures cellules) pour préserver leur capital génétique et survivre. En forme olympique malgré « la grosse pression » qu’elle et l’ensemble du laboratoire s’appliquent pour rester leader dans leur domaine, Chantal Abergel confesse adorer Marseille pour ses habitants, ses couleurs, sa mer, son soleil (« plus d’une semaine de pluie me rend folle »)…, même si le couple Abergel-Claverie a choisi d’habiter à Cassis, « en plein milieu des vignes ». Au fait, travailler en binôme avec son conjoint ne pose aucun problème ? Aucun. « Nous sommes parfaitement complémentaires », répond l’intéressée en ajoutant, tout sourire, que « l’histoire des virus géants ne fait que commencer… » Notes * 1. Unité CNRS/Aix-Marseille Univ. * 2. Le terme Mimivirus est la contraction de Microbe-mimicking virus, virus imitant le microbe. Sources bibliographiques et autres : https://lejournal.cnrs.fr/dossiers/femmes-de-science